En à peine quatre ans, Nothing est passée du statut de startup underground à celui de phénomène mondial du design technologique. Fondée par Carl Pei, l’ex-cofondateur de OnePlus, la marque promettait de “rendre la technologie amusante à nouveau” grâce à des produits au look futuriste et à une communication audacieuse. Mais derrière le storytelling léché et les coques transparentes se cache une réalité plus complexe : une entreprise qui brûle des millions sans encore générer de profit.
Une ascension éclaire, alimentée par le buzz
Tout commence en 2021 avec les Nothing Ear (1), des écouteurs transparents vendus comme une alternative design aux AirPods. En quelques mois, plus de 600 000 unités sont écoulées, et la marque devient virale. L’année suivante, le Nothing Phone (1) fait encore plus de bruit : un smartphone transparent, bardé de LEDs, soutenu par une campagne marketing millimétrée digne d’un lancement Apple.
Carl Pei, jamais avare en coups médiatiques, organise une vente aux enchères des 100 premiers modèles sur StockX, la plateforme de sneakers. Les prix s’envolent, les YouTubers s’emballent, et le Nothing Phone 1 devient un objet culte avant même sa sortie. Rien n’a jamais autant fait parler de… Nothing.
Des ventes impressionnantes, mais un modèle économique fragile
Depuis, la marque a multiplié les lancements : Ear (2), Phone (2), Ear Stick, puis la sous-marque CMF by Nothing, plus abordable. Résultat : plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires cumulé. Un exploit pour une entreprise aussi jeune.
Mais le revers de la médaille, c’est que Nothing perd encore de l’argent à chaque produit vendu. Selon des estimations récentes, la société aurait terminé 2023 avec une perte de 59 millions de dollars : 50 millions pour produire, 12 millions en marketing, et des coûts fixes colossaux.
Rien d’anormal, diront certains : toutes les jeunes marques hardware subissent une phase de pertes initiales. Mais la différence, c’est que Nothing joue sur le même terrain que des géants comme Apple et Samsung — sans leur capital, ni leur écosystème.
Quand le design ne suffit plus
Le design transparent et les produits “cool” ont propulsé Nothing sur le devant de la scène. Pourtant, les scandales récents ont terni cette image : une application “Nothing Chats” jugée dangereuse, des bugs sur le Phone 3, et des photos promotionnelles… issues de banques d’images.
Des erreurs de communication qui, cumulées, fragilisent la confiance du public. Et dans un secteur où la confiance vaut plus que le design, c’est un risque majeur.
Avertissement : les données financières citées proviennent d’analyses publiques et d’estimations sectorielles. Nothing ne publie pas encore de rapports annuels complets. Les chiffres mentionnés sont donc à interpréter comme indicatifs.
Le dilemme Nothing : innover ou survivre
Aujourd’hui, Nothing se trouve à un carrefour stratégique. Son image “anti-Apple” séduit les jeunes, mais son absence de rentabilité inquiète les investisseurs. Pei multiplie les annonces et les produits, espérant que la croissance compensera la perte à court terme.
Mais à 59 millions de dollars de déficit annuel, combien de temps la marque pourra-t-elle encore “perdre de l’argent pour exister” ?
Pendant combien de temps Nothing peut-elle continuer à perdre de l’argent ?
La question est simple, mais cruciale. Les marques qui ont voulu défier Apple sur son terrain ont souvent échoué : Essential, Nextbit, ou encore HTC. Nothing, elle, a la force du design, une communauté fidèle, et un storytelling maîtrisé.
Mais la passion ne paie pas les factures. Sans rentabilité rapide, la startup devra lever encore plus de capitaux, diluer son identité… ou finir par devenir exactement ce qu’elle critiquait : une marque de plus dans un marché saturé.
Nothing a voulu prouver qu’on pouvait créer une révolution à partir de “rien”. Mais peut-être que, cette fois, le “rien” commence à coûter très cher.
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