Starbucks qui passe aux chansons chinoises à fond, qui finira par servir du youtiao avec le café, Burger King racheté par un fonds local, Costa Coffee en vente, IKEA, Décathlon et même les géants de la tech qui réduisent la voilure… Derrière les blagues sur les réseaux sociaux, une réalité beaucoup plus lourde se dessine : la Chine est en train de changer de visage pour les marques étrangères.
Ce qui ressemblait autrefois à un eldorado pour les investisseurs occidentaux se transforme en terrain miné : consommation en berne, concurrence locale agressive, politiques de “substitution nationale” et retrait massif de capitaux. Le cas emblématique de Starbucks en Chine est une parfaite porte d’entrée pour comprendre ce basculement.
Avertissement : cet article se base sur des informations publiques et des tendances observées. Il ne s’agit pas d’un conseil financier ou d’un jugement moral, mais d’une lecture critique de ce qui est en train de se passer sur le terrain.
Starbucks version “rustique” : musique chinoise forte et café à emporter
Tout part d’un détail qui semble anodin : dans certaines boutiques Starbucks en Chine, la musique lounge occidentale a été remplacée par des hits pop chinois à volume élevé. Pas juste une playlist locale, mais une vraie rupture d’ambiance. Résultat : l’atmosphère “calme et premium” cède la place à un tempo plus agressif, presque pensé pour que tu consommes vite… et que tu partes vite.
En parallèle, sur les réseaux chinois, un discours ironique émerge : maintenant que Starbucks a été racheté majoritairement par un capital local (dans la vidéo, Boyu Capital), la marque serait en train de glisser vers un modèle plus “populaire” :
- Musique forte et très locale
- Rotation rapide des clients
- Probable arrivée de soja chaud, youtiao, snacks locaux au menu
Un peu comme si le Starbucks “3e lieu” devenait une sorte de milk tea shop de ville moyenne. Pour certains habitués, la magie est clairement en train de disparaître : le café n’est plus un refuge pour bosser, mais un point de vente rapide, presque standardisé comme les chaînes locales.
La “chinalisation” des marques : quand tout finit par se ressembler
Starbucks n’est pas un cas isolé. On voit une vague de rachats ou de sorties de grandes enseignes étrangères :
- Starbucks : cède une large part de son activité chinoise à un fonds local, qui pousse à la rentabilité, à l’expansion dans les villes de rang inférieur, et probablement vers un modèle plus basique, moins “premium”.
- Burger King : sa maison-mère RBI vend plus de 80 % de ses opérations en Chine à un investisseur chinois (CPE Yuanfong), avec un plan d’ouvrir plusieurs milliers de nouveaux restaurants.
- Costa Coffee : Coca-Cola réfléchirait à s’en débarrasser, alors que la marque n’a jamais réussi à s’imposer face aux concurrents locaux. Son réseau de magasins en Chine a fondu, et la marque plafonne loin derrière Starbucks, Luckin & co.
- Pizza Hut, Häagen-Dazs, Décathlon, IKEA… : tous ont réduit la voilure, fermé des magasins, voire cherché des repreneurs pour leurs actifs locaux.
Résultat : les enseignes étrangères finissent soit par disparaître purement et simplement, soit par être rachetées par du capital chinois… puis “localisées” à marche forcée. Menus adaptés, baisse de coûts, ambiance plus populaire et course aux promos : on revient toujours au même modèle, celui de la guerre des prix.
Le café à 9,9 yuans a changé les règles du jeu
Pour bien comprendre la situation, il suffit de regarder le marché du café. Pendant des années, Starbucks incarnait le café “aspirationnel” : cher, mais associé à un style de vie urbain, international, premium. Puis sont arrivées des chaînes comme Luckin Coffee ou Cotti Coffee, avec des stratégies tarifaires agressives : 9,9 RMB le café, promos permanentes, appli mobile ultra optimisée, livraison rapide, implantation massive.
En quelques années, la part de marché de Starbucks dans le café en Chine s’est effondrée, passant d’environ 42 % en 2017 à environ 14 % en 2024 selon les chiffres évoqués dans la vidéo. Les jeunes consommateurs, confrontés à une économie en ralentissement et à une baisse du pouvoir d’achat, ont largement basculé vers des options moins chères. L’ère du café statutaire s’est fait rattraper par l’ère du café “raisonnable”.
Dès lors, le Starbucks “haut de gamme” devient compliqué à défendre. Pour survivre, la marque n’a que deux choix : baisser ses prix, ou changer son modèle d’exploitation. D’où la tentation de localiser à outrance : moins de coûts, plus de volume, plus de vitesse. Mais au passage, on perd ce qui faisait la différence.
De l’eldorado à la sortie de secours : le retrait en chaîne des capitaux étrangers
Ce qui se passe dans le café et la restauration rapide est en réalité le miroir d’un mouvement beaucoup plus large. La vidéo mentionne une série impressionnante de retraits ou de restructurations :
- Tech & logiciels : SAS ferme, IBM réduit fortement, Nvidia déclare être passé de 95 % à 0 % de parts de marché dans certains segments à cause des restrictions d’export.
- Automobile : General Motors presse ses fournisseurs de réduire voire d’éliminer les composants chinois d’ici 2027 ; BMW déplace une partie de sa production vers le Vietnam.
- Composants & PC : Dell relocalise une partie de la production en dehors de Chine (Vietnam, Mexique), pour limiter sa dépendance.
- Pharma & médical : sorties en série de grandes entreprises pharmaceutiques étrangères, produits radiés, réductions de catalogue, cessions de joint-ventures.
En parallèle, les chiffres d’investissement direct étranger chutent violemment. On parle d’une baisse de plus de 90 % entre le pic de 2022 et 2025, avec des flux retombant à des niveaux observés… au début des années 90. Autrement dit, le monde passe de “Chine = eldorado” à “Chine = risque majeur”.
Pourquoi les étrangers partent : concurrence ou piège organisé ?
Dans la vidéo, un intervenant donne une vision très claire – et très brutale – de la logique chinoise : selon lui, le système n’a jamais été une véritable économie de marché, mais un capitalisme d’État piloté par la planification. Le rôle des entreprises étrangères ? Servir de vaches à lait temporaires :
- On attire les multinationales avec un marché gigantesque, une main-d’œuvre encore abordable et des politiques favorables.
- On les incite à investir, à transférer technologie, savoir-faire, process.
- Une fois l’écosystème local suffisamment mûr, on met en place des politiques de “substitution domestique” : marchés publics, normes, prix, contraintes administratives.
- On pousse les étrangers vers la sortie (ou à brader leurs actifs) au profit d’acteurs locaux.
Vu sous cet angle, le départ des marques étrangères n’est pas un accident, mais le résultat logique d’une stratégie où le capital étranger n’est jamais prévu pour rester longtemps. Il doit nourrir l’écosystème local, puis quitter la scène.
Pour les consommateurs : plus de promos, moins de “lifestyle”
Pour les clients chinois, la conséquence est assez paradoxale :
- À court terme, plus de choix locaux, plus de prix cassés, plus de promos et de coupons. On boit du café pas cher, on mange du fast-food ultra localisé, on profite de l’intense concurrence entre enseignes chinoises.
- Mais à long terme, on assiste à la disparition progressive de l’expérience “différente” que proposaient certaines marques étrangères : ambiance, design, standards de service, image de marque internationale.
Un Starbucks avec youtiao, musique pop criarde et rouleau de promos sur l’appli, est-ce encore vraiment “Starbucks” ? À partir de quel moment une marque internationale récupérée par du capital local cesse d’incarner le lifestyle qu’elle vendait à l’origine, pour n’être plus qu’un logo parmi d’autres dans le grand bain de la concurrence interne ?
Conclusion
La transformation de Starbucks en Chine, avec sa musique locale à fond et ses futurs youtiao au comptoir, n’est pas une simple anecdote amusante. C’est le symbole d’un basculement plus large : la fin de l’illusion d’un marché chinois ouvert indéfiniment aux grandes marques étrangères.
Ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement une bataille de cafés et de burgers, mais une redéfinition complète des règles du jeu : les capitaux étrangers ont servi, maintenant ils s’en vont. Reste une question : à force d’uniformiser l’offre et de transformer chaque enseigne en machine à prix cassés, combien de “styles de vie” disparaîtront en route ?

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